Conte de Noël : La Vue « de champs pleins » de neige
décembre 22, 2014
Les 400 jours prennent une petite pause pendant le congé des fêtes. Nous serons de retour dès janvier 2015 !
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Attentif en maternelle, débrouillard au jardin d’enfants, taquin en première année, Gilbert était déjà un animateur en deuxième année. Rendu en cinquième année, ce garçon mince et élancé organisait des jeux d’habileté en deux temps trois mouvements, racontait des histoires abracadabrantes qui tenaient en haleine tous ses amis et proposait toujours sa blague du jour pour dérider toute la classe.
Il faut dire que son père, un grand barbu qui écrivait pour L’Express et qui enseignait l’histoire dans une école secondaire, lui fournissait régulièrement quelques pistes susceptibles de taquiner sa fantaisie.
Au début de décembre, Gilbert était arrivé à l’école Adhémar-Papineau en affichant un air plus radieux que d’habitude. Il avait été le premier à lever la main pour demander la parole, surtout pour claironner devant toute la classe qu’il connaissait le prénom du Père Noël.
Sachant que son écolier le plus dégourdi pouvait en faire voir de toutes les couleurs juste en ouvrant la bouche, l’institutrice Marie-Claude Séguin s’était volontiers prêtée au jeu en fronçant légèrement les sourcils.
– Et comment s’appelle l’auguste personnage, mon cher Gilbert ?
– Son nom complet est Samuel Noël. Ça rime en crime !
– Est-ce ton papa qui t’a donné ce renseignement ?
– Pas tout à fait. Je l’ai deviné quand il m’a dit que c’est la vue « de champs pleins » de neige qui régale le plus le Père Noël.
Mademoiselle Séguin connaît bien le papa de Gilbert. Tous deux siègent au Comité des célébrations du 400e anniversaire de vie française en Ontario, chargé d’organiser trois jours d’activités entre le 24 juin et le 1er juillet pour la Municipalité régionale Bord-du-Lac. Elle devine tout de suite l’astuce dans la réponse donnée par Gilbert.
Mais le garçonnet croit nécessaire d’en beurrer un peu plus épais en ajoutant que le lutin éclaireur du Père Samuel Noël s’appelle Étienne. Comme si cela ne suffit pas à faire sourire son institutrice, Gilbert décide d’ajouter une cerise sur le sundae en précisant : « Non, le lutin Étienne ne s’est jamais brûlé le nez au contact du renne Rudolph. »
Marie-Claude Séguin enchaîne tout de go en montrant à ses élèves une carte du Canada et en leur racontant le chemin que le Père Noël – pardon, le Père « Samuel » Noël – a emprunté la première fois pour distribuer ses cadeaux en Ontario. Elle leur indique d’abord une rivière sur la carte bilingue : Rivière des Outaouais/Ottawa River.
« Voilà la route que le Père Noël emprunte en 1613. Elle était connue sous le nom de Grande Rivière. Son premier arrêt se fait devant un très petit cours d’eau. » Elle leur pointe la rivière Petite Nation.
Gilbert veut aller plus vite et ajoute que le Père Samuel Noël n’est pas resté là « ben ben longtemps », car il a vite abouti dans une chaudière.
Les élèves questionnent tous Gilbert de leur regard méfiant, mais mademoiselle Séguin précise pourquoi l’endroit pointé par Gilbert s’appelle le Sault ou les Chutes de la Chaudière.
– Dans ses notes de voyages, Samuel de… euh… le Père Noël explique que l’eau tombant des chutes faisait de gros bouillons et que le mot « chaudière » signifiait au XVIIe siècle « récipient de métal destiné à faire bouillir quelque chose ».
– Le Père Samuel Noël n’est pas tombé dans la chaudière, lance Gilbert. Il s’est tout de go dirigé vers le lac des Chats… où il a trouvé plusieurs chats sauvages.
– Le lac s’appelle ainsi, de préciser mademoiselle Séguin, parce qu’il y avait de nombreuses roches dans le Sault des Chats et elles égratignaient les canots comme un chat sauvage le ferait avec ses griffes.
Gilbert bondit comme un chat et atterrit tout près du lac Allumette; la carte indique pourtant Allumette Lake. L’institutrice explique que de nos jours, plusieurs toponymes (noms de lieu) ontariens ont une forme hybride. L’élément générique est anglais (lake) et le terme spécifique (Allumette) est français.
Mais ça, c’est une autre histoire à raconter en 2015…
Conte écrit par Paul-François Sylvestre, publié dans l’Express de Toronto.